Taine et les espaces intermédiaires

Dans le tome I de son Voyage en Italie, Hippolyte Taine, esthète du XIXe siècle, fin connaisseur des arts et voyageur exigeant, n’en produit pas moins un contresens interessant à analyser lorsqu’il évoque l’inconfort des moments d’attente, entre deux trains ou deux bâteaux, dans des endroits ingrats et pourtant si importants dans l’expérience du voyage.
Il évoque l’ennui né de l’attente dans les stations comme une perte irremédiable sur le temps du voyage, où rien ne peut alors être créé par une pensée en suspens, comme anesthésiée par la simpe banalité ou la médiocrité des lieux. Cette appréciation est le fruit d’une époque où l’esthétique du voyage s’organisait autour de l’accumulation de sensations liées à la découverte du Beau, avec la confirmation que le droit canon délégué par les Beaux-Arts est satisfait au détour des chaque rue et devant chaque édifice. Cependant les voyageurs du XXe siècle emprunteront d’autres chemins pour raconter le monde, non plus par cette accumulation parfois fastidieuse d’émerveillements et d’agacements liés à cette recherche comptable d’un voyage érudit et impatient d’aller vérifier sur place si ce que l’on dit du pays en question tient devant celle-ci, mais ils intégreront le banal et le vernaculaire comme étant des éléments essentiels de l’expérience de l’autrui, faisant des non-lieux des zones d’incertitude permettant de cristaliser d’autres réalités liées à cette accumulation de sensations, de découvertes de soi et de l’autre. Il y a un déplacement certain de la relation de voyage qui s’opère entre les deux guerres mondiales. Sans doute une meilleure connaissance des contextes économiques et sociaux des pays traversés permet-elle d’appréhender la problématique humaine dans une plus grande dimension. On commence à comprendre que l’acitivité économique contraint culturellement des espaces entier de l’humanité. Le voyageur moderne y sera sensible.
Pour ma part j’ai toujours tenu pour primordiale cette expérience transitoire des gares, aéroports, embarcadères de ferries, comme autant de zones d’attente permettant à l’esprit de se mettre à la fois au repos et dans une grande disponibilité d’accueil pour des expériences à venir. L’attente forcée même révèle des portions de soi-même inédites, où l’on peut se trouver assailli d’images qui n’auraient pas eu le temps de se former si l’esprit avait été plus occupé. C’est dans ces moments d’abandon à une demi-rêverie forcée, voire à un demi-sommeil mérité entre deux périodes majeures d’un voyage que ces respirations livrent le meilleur d’elles-mêmes, vous entrainant vers une vérité de votre présence ici, dans l’espace, dans le temps sans cesse mouvant du voyage qui accepte aussi d’être statique mais n’en demeure pas moins riche de sensations. Les gares feroviaires restent pour moi des lieux d’entre-deux d’une richesse inégalées. Notamment en Italie où l’architecture, la vie propre à ces lieux, forment un ensemble projetant déjà toute une vérité sur le pays traversé, sur la ville elle-même, à la fois sas de décompression et caisson de reconditionnement. Combien de fois suis-je arrivé épuisé d’un trajet, mais une fois le pied posé sur le quai, totalement regaillardi par le spectacle grandiose d’une ruche sociale qui livrait-là ses premiers secrets et donnait irrémédiablement envi d’aller en ville en connaitre l’essence. Au Mexique la donne était un peu différente. Et encore pas tant que ça. J’ai davantage fréquenté les terminaux de bus, par nécessité, et malgré leur véritable indigence parfois, ceux-ci rythmaient toujours ce passage d’un espace d’expérience à un autre, livrant quelques vérités sur les populations, avec son inévitable cortège d’odeurs culinaires, mêlées aux salissures liées à la fréquentation intensive des ces lieux. Même le plus triste des terminaux, le plus rudimentaire, même celui auquel je ne me suis arrêté que quelques minutes pour prendre un café et profiter des toilettes a trouvé sa place logique dans la continuité du voyage, permettant d’établir un lien entre deux espaces, me préparant à affronter la nouveauté car propice à la fantasmagorie.Libellés : espaces intermédiaires, Taine, voyage


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