Chère Agnès b.

Je souhaitais vous écrire un petit mot pour vous dire combien j'étais touché de voir que vous proposiez dans vos deux boutiques de la rue du Jour, à Paris, dans l'inestimable quartier des Halles, une remarquable exposition de photographies de Pierre René-Worms consacrée à Joy Division, le groupe emblématique des années 80, qui aura marqué son époque par sa radicalité musicale. Cette exposition tombait bien car, à côté de l'actualité de la sortie du film "Control" dont vous faites une belle présentation dans lesdites boutiques (plutôt chez l'homme...), ces images se révélèrent d'un pouvoir d'évocation immense face à ce que j'avais connu du quartier Saint-Eustache, de ces alentours du nouveau forum des Halles où l'on voit le groupe se dégourdir avant de plonger aux Bains-Douches avant de faire leur balance.
Tout cela était doux et bercé d'un tendre sentiment jusqu'au moment où, après avoir saisi l'âme de chaque image, pénétré le moindre recoin du souvenir (quelle belle image que celle prise à l'intérieur de l'église Saint-Eustache !) et de la nostalgie, je me suis attardé un peu pour flâner et regarder les artcicles proposés à la vente. Et là, très chère Agnès b., tout ce que je voyais, la moindre étiquette de prix, le moindre produit au look gentiement "branché", semblait contredire dans le moindre détail les sentiments développés plus avant. J'ai vainement cherché un article qui soit, disons, abordable, dans le sens où une personne honnête, ayant un travail honnête, avec un revenu "normal", puisse se l'offrir. Je suis resté effrayé (en toute discrétion pour ne pas troubler les conversations de circonstance des vendeurs, du style : "Tu as vu Control ? - Non, tu sais, Joy Division ce n'est pas mon truc"). Je devais d'ailleurs être le seul client vers 12h00 ce jeudi-là. Ils devaient être 4 ou cinq, avec un colosse noir pour le service d'ordre. Alors je me demande chère Agnès b. dans quel monde jouez vous, et surtout quel public peut encore mordre à cet univers factice de la mode et de la branchitude chic et se servir de l'image d'un groupe comme celui-ci (et du drame qu'a été pour ses membres la perte tragique de leur chanteur) pour l'utiliser comme vernis sociétal d'une civilisation qui avance sur les pas de sa propre ruine. Finalement, en réécoutant ces hymnes diffusés (à bas niveau bien entendu) dans les enceintes au niveau des cimaises, dont je connais chacune des notes, j'ai pensé alors que c'était de cette perte dont ils nous parlaient.
Libellés : joy division, mode, snobisme


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