Les Tarahumaras et le déclin de l'Occident

Au début du XXe siècle l'ethnologue suédois, Carl Von Lumholtz, photographiait pour la première fois sans doute des indiens Tarahumaras dans la sierra du même nom au Mexique. Déjà retranchés sur les hauteurs escarpées d'une région âpre à l'hiver rigoureux pour échapper aux agressions des colons espagnols, ce sont ces mêmes indiens qu'Antonin Artaud croisera quelques années plus tard et qui seront pour lui l'objet d'une révélation unique. Cette vision sera traduite dans un des plus beaux textes de l'écrivain, et de la littérature française, tant il y est question d'un au-delà de la langue et de la narration. Artaud nous invite à découvrir une "race principe", ce sont ses termes ; race d'hommes d'une pureté qui n'a pu se trouver que dans les balbutiements de l'humanité, encore vouée à ses cultes précolombiens, dont l'adoration du peyotl.
Ces indiens Tarahumaras tels que je les ai croisés lors de mon voyage mexicain, habitaient encore pour quelques-uns des habitations troglodytes sur les plateaux, marchant nus-pieds sur le sol gelé pour vendre quelques vaneries ou des arcs jouets pour touristes américains qui ne s'aventuraient pas au-delà de la voie ferrée de Creel, la petite ville centrale désservant le secteur. Au hasard d'une visite dans un pueblo je ferai quelques photos de danseurs comme ceux que vous voyez sur celle de l'article, mais en noir et blanc.
Cette dévastation due à l'Occident nous la comprenons encore plus profondément à l'aide de ce qu'en dit Claude Levi-Strauss au retour de sa mission en Amazonie chez les indiens Bororo, conscient qu'une "aube" de l'humanité disparaît sous ses yeux. C'était en 1935 : "L'explosion démographique, où l'Occident à sa part de responsabilité, réduit à une vitesse effrayante la distance vitale entre les êtres. Quand au progrès, il se dévore lui-même. De plus en plus, les avancées de la science et de la technique, y compris les conquêtes de la médecine - bienfaits pour les individus et méfaits pour l'espèce -, ont pour bénéfice principal, souvent pour excuse alléguée, de compenser les conséquences néfastes engendrées par les progrès précédents. Ce faisant, d'autres conséquences néfastes résultent, auxquelles il faudra inventer d'autres progrès pour remédier. Expropriés de notre culture, dépouillés de valeurs dont nous étions épris - pureté de l'eau et de l'air, grâces de la nature, diversité des espèces animales et végétales -, tous indiens désormais, nous sommes en train de faire de nous-mêmes ce que nous avans fait d'eux."


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