Analyse du crime parfait (1)

L’un des crimes les plus parfaits que le capitalisme ait produit est d’ôter toute possibilité à des mouvements de création spontanés et originaux, et surtout au final subversifs, de trouver un champ commercial d’expression en rendant inaccessibles les réseaux habituels de diffusion ou de distribution à leur production. Dans le Londres des années 70, de pauvres boutiques faméliques tendaient une main ouverte aux articles sulfureux d’une production effrénée se dénichant pour les uns chez des bouquinistes, pour les autres chez des disquaires ou créateurs de vêtements comme Vivienne Westwood.
Pour quelques Livres modestes à Londres, ou quelques centaines de Francs à Paris, on pouvait se payer un loyer et se lancer dans l’aventure d’une production expérimentale et risquer des coups fumeux, sans pour autant bâtir un business-plan et prendre un bouillon à ses débuts n’avait pas de conséquences trop fâcheuses pour la suite des événements.
Cette époque est révolue. Combien de divines librairies fermées pour cause de propriétaire trop sensibles aux sirènes de la spéculation immobilière, de disquaires pointus (la glorieuse époque du vinyle) ayant mis la clé sous la porte car ne suivant plus l’inflation des loyers commerciaux ? Même les banlieues, autrefois grande attraction frissonnante des capitales (l’Est End londonien, Montreuil pour Paris), ne permettent plus qu’à des boutiques mainstream de tenir le coup, tablant nécessairement sur des rotations importantes de leurs stocks sur des articles reconnus immédiatement par les masses.
Cette situation n’est pas le fruit du hasard mais découle bien d’une volonté politique programmée pour anéantir toute vie facile, toute créativité spontanée, toutes formes d’échanges basés sur la réciprocité ou le simple entraide entre gens d’une même communauté d’agglomération. Cette spéculation immobilière s’est avérée être un puissant outil de contrôle de la cité, la déshumanisant jusque dans ses moindres recoins.
Pas étonnant alors que le ton de certaines personnes se fasse nostalgique. Le réalisateur britannique Terence Davies a réalisé sur Liverpool, sa ville, qu’il ne reconnaît plus, un vibrant hommage à travers un documentaire chargé d’une subjectivité que l’on ne pensait plus possible à l’écran. Du Douglas Sirk mâtiné d’analyse psycho-géographique.
PS : l'image illustrant ce billet est une reproduction de l'affiche de l'exposition rétrospective autour de la boutique de vêtements ouverte par Malcom Mc Laren et Vivienne Westwood à King's Road, London, à l'aube du mouvement punk.
Libellés : bouquinistes, capitalisme, disquaires, Londres, Paris


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