mardi, octobre 18, 2005

Les Tarahumaras et le déclin de l'Occident


Au début du XXe siècle l'ethnologue suédois, Carl Von Lumholtz, photographiait pour la première fois sans doute des indiens Tarahumaras dans la sierra du même nom au Mexique. Déjà retranchés sur les hauteurs escarpées d'une région âpre à l'hiver rigoureux pour échapper aux agressions des colons espagnols, ce sont ces mêmes indiens qu'Antonin Artaud croisera quelques années plus tard et qui seront pour lui l'objet d'une révélation unique. Cette vision sera traduite dans un des plus beaux textes de l'écrivain, et de la littérature française, tant il y est question d'un au-delà de la langue et de la narration. Artaud nous invite à découvrir une "race principe", ce sont ses termes ; race d'hommes d'une pureté qui n'a pu se trouver que dans les balbutiements de l'humanité, encore vouée à ses cultes précolombiens, dont l'adoration du peyotl.
Ces indiens Tarahumaras tels que je les ai croisés lors de mon voyage mexicain, habitaient encore pour quelques-uns des habitations troglodytes sur les plateaux, marchant nus-pieds sur le sol gelé pour vendre quelques vaneries ou des arcs jouets pour touristes américains qui ne s'aventuraient pas au-delà de la voie ferrée de Creel, la petite ville centrale désservant le secteur. Au hasard d'une visite dans un pueblo je ferai quelques photos de danseurs comme ceux que vous voyez sur celle de l'article, mais en noir et blanc.
Cette dévastation due à l'Occident nous la comprenons encore plus profondément à l'aide de ce qu'en dit Claude Levi-Strauss au retour de sa mission en Amazonie chez les indiens Bororo, conscient qu'une "aube" de l'humanité disparaît sous ses yeux. C'était en 1935 : "L'explosion démographique, où l'Occident à sa part de responsabilité, réduit à une vitesse effrayante la distance vitale entre les êtres. Quand au progrès, il se dévore lui-même. De plus en plus, les avancées de la science et de la technique, y compris les conquêtes de la médecine - bienfaits pour les individus et méfaits pour l'espèce -, ont pour bénéfice principal, souvent pour excuse alléguée, de compenser les conséquences néfastes engendrées par les progrès précédents. Ce faisant, d'autres conséquences néfastes résultent, auxquelles il faudra inventer d'autres progrès pour remédier. Expropriés de notre culture, dépouillés de valeurs dont nous étions épris - pureté de l'eau et de l'air, grâces de la nature, diversité des espèces animales et végétales -, tous indiens désormais, nous sommes en train de faire de nous-mêmes ce que nous avans fait d'eux."

lundi, octobre 17, 2005

Sous le soleil d'Hiroshima


Et si Hiroshima le 6 août 1945 à 8h15 du matin restituait mieux que n'importe quel autre événement mondial l'acme de la violence du monde matériel envers l'humain ? Quel événement pouvait à sa place mieux se présenter comme l'indépassable de la barbarie ? Quelques intellectuels français exilés à New-York prenait le pouls de l'acte impensable et se résignaient à ne plus penser le progrès comme une notion positive. Ils étaient membres du surréalisme ou du dadaïsme, Breton était là, mais à ses côtés un jeune Charles Duits perdait ses dernières illusions face au monde dit "moderne". La seule modernité que ce monde pouvait léguer à leurs enfants était une technologie toujours plus avancée pour exterminer et anéantir l'homme. A son retour en France, Duits ira, comme beaucoup, mais bien avant les beatniks des années 60 ou 70, chercher dans les philosophies orientales, le boudhisme zen notamment, une porte de sortie à cette impasse spirituelle dans laquelle se vautrait l'Occident.
"Hiroshima est partout", disait le philosophe allemand Günther Anders, mari de Hannah Arendt. Nous avons atteint un point extrème dans notre incapacité à accepter le "décalage" entre les productions technologiques et ce que nous en attendons comme améliorations de la vie quotidienne, et notre capacité à utiliser ces techniques à des fins de destructions.
La justification éthique du "moindre mal", c'est-à-dire des vies prétendument sauvées grâce à ce lâchage sur deux villes japonaises, une seule ne suffisait pas pour les "essais" américains, à l'heure de l'entrée à l'école de millions d'enfants innocents, est, comme le souligne justement le philosophe français Jean-Pierre Dupuy, le comble de l'infamie. La justification politique qui a accompagné une telle prise de décision a plongé pour toujours l'Occident dans le remords et la culpabilité. D'autres décisions du même ordre ont aujourd'hui plongé le Moyen-Orient dans le chaos, sur les lieux mêmes où la civilisation sumérienne naissait, dans des temps anciens que trop peu de nous cherchent à connaître. Une langue efface ainsi l'autre de par son efficacité dévastatrice. Triste vérité de l'Histoire sur le champ dévasté par les dérives scientistes et matérialistes d'un monde qui n'a pas eu le temps de dire l'ensemble de ses promesses.
(En passant sur le titre de cet article vous activez un lien qui vous emmène sur le site du photographe japonais Yosuke Yamahata qui était sur le champ de ruine d'Hiroshima le 10 août 1945).