lundi, octobre 22, 2007

Pour Nicolas Bouvier


Sans doute avez-vous été quelques-uns à vous demander pourquoi ce blog était intitulé "Usage du monde". Certains ont dû rechercher vainement une allusion directe au livre formidable de Nicolas Bouvier, et bien que certaines traces laissaient supposer que le voyage et la découverte de l'autre se trouvaient d'une manière au centre de mes préocupations premières, jamais je n'avais songé à placer un post directement consacré à cet unique écrivain, suisse comme mes ancêtres, qui a su restituer l'intériorité du voyage comme peu avant lui. Certes de Chateaubriand à Michaux il y a eu des relations écrites autour du voyage d'une grande richesse à la fois littéraire et philosophique. Mais chez Bouvier j'ai trouvé une conivence avec ma propre expérience, notamment lors de mon voyage au Mexique au début des années 90, déroulant vérités et démontant moults clichés sur le but de la quête intérieure du voyageur qui en ont fait un objet unique, assorti de nombreuses photographies aujourd'hui remarquablement éditées.

Je ne peux résister à la tentation de citer ci-après un extrait des plus célèbres de "l'Usage du monde".
"C'est la contemplation silencieuse des atlas, à plat-ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l'envie de tout planter là. Songez à des régions comme le Banat, la Caspienne, le Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu'on y croise, aux idées qui vous y attendent... Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c'est qu'on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu'au jour où, pas trop sûr de soi, on s'en va pour de bon. Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait."
"L'usage du monde", Nicolas Bouvier, Petite bibliothèque Payot / Voyageurs, 1992.



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vendredi, octobre 12, 2007

Chère Agnès b.


Je souhaitais vous écrire un petit mot pour vous dire combien j'étais touché de voir que vous proposiez dans vos deux boutiques de la rue du Jour, à Paris, dans l'inestimable quartier des Halles, une remarquable exposition de photographies de Pierre René-Worms consacrée à Joy Division, le groupe emblématique des années 80, qui aura marqué son époque par sa radicalité musicale. Cette exposition tombait bien car, à côté de l'actualité de la sortie du film "Control" dont vous faites une belle présentation dans lesdites boutiques (plutôt chez l'homme...), ces images se révélèrent d'un pouvoir d'évocation immense face à ce que j'avais connu du quartier Saint-Eustache, de ces alentours du nouveau forum des Halles où l'on voit le groupe se dégourdir avant de plonger aux Bains-Douches avant de faire leur balance.

Tout cela était doux et bercé d'un tendre sentiment jusqu'au moment où, après avoir saisi l'âme de chaque image, pénétré le moindre recoin du souvenir (quelle belle image que celle prise à l'intérieur de l'église Saint-Eustache !) et de la nostalgie, je me suis attardé un peu pour flâner et regarder les artcicles proposés à la vente. Et là, très chère Agnès b., tout ce que je voyais, la moindre étiquette de prix, le moindre produit au look gentiement "branché", semblait contredire dans le moindre détail les sentiments développés plus avant. J'ai vainement cherché un article qui soit, disons, abordable, dans le sens où une personne honnête, ayant un travail honnête, avec un revenu "normal", puisse se l'offrir. Je suis resté effrayé (en toute discrétion pour ne pas troubler les conversations de circonstance des vendeurs, du style : "Tu as vu Control ? - Non, tu sais, Joy Division ce n'est pas mon truc"). Je devais d'ailleurs être le seul client vers 12h00 ce jeudi-là. Ils devaient être 4 ou cinq, avec un colosse noir pour le service d'ordre. Alors je me demande chère Agnès b. dans quel monde jouez vous, et surtout quel public peut encore mordre à cet univers factice de la mode et de la branchitude chic et se servir de l'image d'un groupe comme celui-ci (et du drame qu'a été pour ses membres la perte tragique de leur chanteur) pour l'utiliser comme vernis sociétal d'une civilisation qui avance sur les pas de sa propre ruine. Finalement, en réécoutant ces hymnes diffusés (à bas niveau bien entendu) dans les enceintes au niveau des cimaises, dont je connais chacune des notes, j'ai pensé alors que c'était de cette perte dont ils nous parlaient.

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