Analyse du crime parfait (2)

C’est Michel Clouscard qui avait raison. Non pas avant tout le monde, non pas face à Bourdieu, Baudrillard ou Deleuze pour dénoncer les méandres des systèmes d’aliénation qui transforme l’homme en simple machine reproductive des mêmes envies et des mêmes erreurs, mais en disant à quel point le pouvoir insidieux de séduction de la marchandise permettait de diluer avec profitabilité toutes velléités révolutionnaires. Les derniers comptes-rendus du front 2009 de la consommation font état de scène invraisemblable où des gens se battent pour pénétrer dans une boutique Prada au moment des soldes, avoir son précieux sésame pour le dernier spectacle « in » au Théâtre de la Ville, ou faire partie des happy fews du cocktail de tel créateur branché qui sera oublié dès le lendemain. Curieuse déroute face à une époque où il faudrait pourtant bien se battre pour autre chose.
Ces objets de prestige que chacun se plaît à posséder sont devenus de cruels marqueurs sociaux dans une société où la revendication collective à laissé sa place aux fantasmes individuels, aux délires narcissiques les plus mesquins. A quoi bon se soucier du monde du travail si effectivement on travaille toute la journée frénétiquement à s’assurer de ne jamais en faire partie.
Cet attrait pour la frivolité, Michel Clouscard, en dénonce la mise en place savante dès la mise en place du plan Marshall, manne financière américaine destinée à sortir l’Europe à toute vitesse de la pauvreté afin que l’hydre communiste n’y puisse prospérer. Il fallait satisfaire rapidement les marchés de biens d’équipement de première nécessité, mais rapidement passer à la satisfaction de besojns moins fondamentaux, et tous nés de l’imaginaire de groupes de publicitaires monnayés par le grand capital pour faire tourner la machine à empocher le jackpot. Ce fut le règne du loisir frivole et détendu, de la décapotable et du juke-box. Les fils à papa criaient leur révolte en lorgnant la poitrine des starlettes cannoises, tandis que les fils d’ouvrier se contorsionnaient pour savoir comment arriver à jouir sans entrave à leur tour, aveuglés qu’ils étaient par des médias bienveillants leur narrant les frasques des riches de ce monde, des jeunes premiers en goguette (Delon), ou des insouciantes estampillées Saint-Germain-des-Prés (Sagan).
La figure la plus pathétique, et surtout la plus hypocrite, de cet empire de la séduction, donc la Californie fut sans doute un des plus éminent laboratoire dès lors où le prurit subversif des derniers hippies révolutionnaires fut englouti dans une ultime extase frelatée, est sans conteste le mec très cool qui a orné de nombreuses pochettes de 33 tours de l’époque : le rockeur west coast. Bronzé mais pas outrageusement, en jean et bottes texanes, chevauchant sa Harley pour bien signifier au monde qu’il était libre, il appelait tout le monde à en faire autant. Se libérer des chaînes du travail, c’était aussi se libérer d’une certaine responsabilité de révolte sociale. S’émanciper du monde tentaculaire de la machine a signifié pour plus d’un refuser de se retourner sur ceux qui restaient, ceux à qui suffisaient quelques pochettes de disques pour rêver un ailleurs meilleur à jamais détaché du monde réel. Cette schizophrénie a donné des publicitaires du calibre de Séguéla, qui fut le mentor… du Parti socialiste. La boucle est donc bouclée. Le mot de la fin le bon Jacques, ami du bon François et du (moins) bon Lionel, l’a eu il n’y a pas longtemps en disant que « si on n’avait pas de Rolex à cinquante ans, c’était qu’on avait raté sa vie ». Le pire serait tout de même de la rater à chercher à changer les rapports de classes, ce truc improbable soulevé par Karl Marx.









