jeudi, septembre 11, 2008

1971


Claude Pélieu écrit en 1971 :
"1971, je me souviens... Londres roupillait, Paris était un charnier d'idées, ici plus rien n'existait, plus rien ne pouvait durer - tous morts - par centaines ils sont tombés dans le trou du souffleur, techniquement morts, vous comprenez ?...
Ils ont bonne mine les sociologues, les analystes, les militants, les journalistes, et tous ceux qui découvrirent l'Amérique - de quoi parlent-ils terrés dans leurs bunkers universitaires ou dans leurs crèches sauvages, leurs gros culs dans la choucroute ? De quelle société ? De quels nègres ? De quelle contre-culture ? De quels mouvements de libération ?... exotisme, parano... certains évoquent encore ces petits équipages subversifs, intensément cultivés, traversant l'Atlantique, quinze ou vingt ans après, avec Nikons et mini-cassettes atteignant la côte West avec Hertz et quelques gauchistes hébétés... « Marx et le p'tit Jésus bouddhique vous saluent bien », disait Jimmy Cul-de-Poisson... Mon Dieu ! Mystiques de prisunic et rabbins chétifs !... Plus de mystère, plus de féerie, rien ni personne - seule survit la bonne grosse connerie militante, et les mauvaises odeurs de la nouvelle gauche... mousse verdâtre phosphorescente dans les yeux bigles de l'interlocuteur."
Je me souviens de Claude Pélieu. De "tatouages mentholés et cartouches d'aube" que je lisais fébrilement dans un joli café vers la rue Drouot, parce que la vie me semblait ne pouvoir ressembler qu'à ça, à des heures de lectures diverses dans des cafés qui à l'époque sentaient encore le vieux Paris, et étaient faits de tables lourdes et gracieuses à la fois, de sièges élégants s'accordant avec lesdites tables. Je me croyais en Italie ; déjà. Je me souviens qu'il avait traduit Burroughs, et que la rumeur courrait qu'il avait filmé le MC5 en concert. Rien que ça, ça vous colle un bonhomme… Je sais surtout que plu spersonne n'écrira comme ça. Que la langue n'éclatera plus jamais en mille éclats comme ça. Que le rock ne sera plus jamais comme ça.

Les disques de mon père


Cette pochette de quarante-cinq tour est une des innombrables pochettes de disques que mon père nous a laissées vides, à ma mère et moi, lorsqu'il a quitté le domicile conjugal, en 1966. Je ne devais plus le revoir pendant dix-sept ans. J'ai vécu une relation étrange avec cette pile de pochettes vidées de leur substance même, la rondelle de cire noire et magique qui aurait trouvé sa place sur l'électrophone familial, de marque allemande. Du bon matériel car mon père était du genre exigeant sur la qualité. Du coup, le fait qu'il se livre à une telle négligence, embarquer des disques sans prendre les pochettes, m'a interrogé toute ma vie, et je n'ai même pas eu le courage de lui demander la réponse lorsque nous nous sommes retrouvés dans les années quatre-vingt.
Maintenant ces pochettes sont chez moi. Mon père est décédé depuis peu. Je suis censé récupérer les disques qui dormaient dans une cave. Pour l'anecdote il n'y en avait que deux, si ma mémoire est bonne, qu'il avait omis de vider. "Reach out", des Four Tops, et "Les copains d'abord", de Brassens. Je les ai fait tourner sans cesse, des années durant. Il ont sans doute contribué à former mes premiers goûts musicaux. Qu'advient-il aux enfants à qui leur parents ne laissent aucun disques ?

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